Ερωτευμένο λεξικό ελληνικών

Dictionnaire amoureux du grec

J'ai la chance de partager ma vie avec une passionnée de la langue grecque, au point d'en faire son métier. Voici donc un nouvel espace dédié à cette langue-racine de la plupart des langues européennes, dont le français. Un éclairage de plus pour mieux comprendre notre propre langue !

Un nouvel article viendra enrichir ce dictionnaire amoureux régulièrement... j'espère qu'il vous plaira !


θυμάμαι / thimamai / je me souviens

Aujourd'hui, tu en sauras plus sur le verbe "se souvenir" : θυμάμαι. Ce mot vient de l'ancien grec ό θυμός (o thumos / le souffle, l'âme -l'un des mots pour âme, le plus "physique"). Ce θυμός a donné en latin fumus, puis en français  fumée. Tu vois donc que le souvenir est ce truc vaporeux et insaisissable, qui semble pourtant venir du plus profond de soi, traversant brumes et fumées pour parvenir à la conscience.  Et qui nous étreint, nous empoigne le coeur et les tripes, souvent. Est-ce pour cette raison que ο θυμός en grec moderne d'aujourd'hui veut dire "colère" ? On dirait qu'un nouvel article nous tend les bras...


το αίσθημα / to aisthima / le sentiment

Το αίσθημα (to aisthima - nom neutre)

En grec le sentiment est d'abord une perception physique.

Tout vient du verbe ancien αισθάνομαι, prononcé selon la convention Erasmienne 'aïstanomaï' - mais si on considère que ce sont les Grecs qui parlent leur langue correctement, alors il faut réussir à dire" èsthanomè, un beau challenge pour francophones que celui de rendre la succession -σθ- !

C'est un verbe à la voix moyenne, intermédiaire entre l'active et la passive, qui suppose que l'action se fasse sur soi-même, un peu comme les verbes pronominaux en français. Il signifie "percevoir par les sens" PUIS (l'ordre est important) "comprendre quelque chose". Ce verbe a donné en français "esthétique": primauté aux sensations, donc, dans la signification de ce terme, galvaudé alors que très beau.
Το αίσθημα, le sentiment, se ressent d'abord par une émotion sensitive, voire sensuelle. L'intellect rame derrière pour comprendre ce ressenti physique. Le corps prime ici, ce qui déplaît à Platon qui dénonce les sentiments et émotions comme trompeurs car venant de notre prison corporelle. C'est le fameux coup de foudre, la connivence immédiate,  ou au contraire le dégoût ou le rejet inexplicables  que l'on éprouve vis-à-vis d'un(e) inconnu(e).

Alors bien sûr, tout n'est pas si binaire ni mathématique que le dit l'étymologie, heureusement ! Il arrive que la sensation première soit -et Platon joint les mains!-  démentie par la suite des évènements. Que l'on tombe amoureux de celui/celle que le premier regard avait rejeté/e (Aragon:  "la 1ère fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide". Histoire d'amour); que  l'on éprouve de la nostalgie pour un lieu/une époque qui nous avait pourtant peu marqué. Mais même si l'αίσθημα nuance ou contredit parfois l'αίσθηση (i èsthissi / le sens), je crois à ce 6ème sens intuitif qui guide notre intellect à travers la forêt de choix qui jalonnent notre vie.


η λέξη / i lexi / le mot


Η λέξη (i lexi -nom féminin) signifie "le mot". Il vient du verbe ancien λέγω (lego/ je dis) qui lui-même vient d'une racine indo-européenne désignant la notion de choix.  Le mot est avant tout un choix, il a été pesé, mesuré, élu, parmi une multitude d'autres λέξεις (lexis, au pluriel) potentiels. Ainsi, élire en grec se dit εκλέγω (ek-lego), et son substantif εκλογή est utilisé aussi bien pour la notion de "choix" que pour celle "d'élection".

Dire est donc choisir. J'aime cette image de la cueillette consciente et volontaire, qui fait -devrait faire- de nos discours un bouquet complètement assumé, et si possible responsable, une anthologie au sens premier et fort (άνθος-la fleur / λόγος). Λόγος a d'ailleurs la même origine.

Si la capacité à choisir ses mots est une arme redoutable dans certaines bouches, elle peut aussi être à l'origine d'un bouquet d'éclosions massives d'esprits éclairés.