Après tant de conflits et de destruction, d'exaltation idéologique et d'effondrement moral, voici venue une parenthèse de paix : les ennemis sont partis, les frontières sont stabilisées, le 'grand frère' américain veille sur nous. Peu importe si les prisons sont pleines, l'argent américain du Plan Marshall coule à flots, l'électricité se diffuse, le téléphone et la radio se démocratisent.
Et le soir, le cinéma en salle (en ville) et en plein air (dans les villages) assure le spectacle !
Nous allons commencer par une figure bien peu connue de cette époque, et grâce à qui pourtant, la Grèce de cette période nous a laissé de nombreux témoignages de ses espoirs, angoisses et plus que tout, de sa soif de vie !
Il s'agit de Filopimène Finos, fondateur des Finos Film, premier grand studio de films grecs.
Un diaporama pour se (re)plonger dans l'ambiance des années 50 et 60 au cinéma en Grèce...
Filopimène Finos : voici un homme dont le nom apparaissait sur tous les écrans en Grèce, et ce pendant trois décennies. Il a consacré sa vie au cinéma, et pourtant ne fut jamais, ou très rarement, dans la lumière. Derrière la caméra, "l'homme au tournevis" était là à tout faire pour que le film puisse sortir, quelles qu'en soient les contrariétés. Et il en connut de sérieuses !
Il naquit en 1908 et déménage très vite à Athènes, où son père exerce en tant que médecin. Fan de ce nouvel art qu'est le cinéma, son père achète une salle, l'Alcazar, dans laquelle Filopimène va grandir et se forger une véritable passion pour le 7ème art.
Après un premier échec cuisant en 1937 dû à une impréparation technique, il est remotivé par sa femme, Tzella Veakou qui fut son plus grand soutien toute sa vie, et décide d'ouvrir de vrais studios dans le centre d'Athènes. La guerre mobilise tous ses congénères, et il prend la caméra pour documenter les combats sur le front albanais. Il ne restera que quelques fragments de ces reportages uniques, qui seront saisis puis détruits par les Allemands.
Son premier film abouti signé Finos Film est "La voix du coeur" (η φωνή της καρδιάς) et sort en 1943, en pleine Occupation.
Il fait sensation, car à cette époque seules des productions allemandes et hongroises étaient visibles. Les conditions étaient telles en cette période de famine que chacun amenait ce qu'il trouvait de comestible avec lui pour que tous puissent se nourrir entre les prises de vue.
En 1944, quelques semaines avant la fin de l'Occupation, son père et lui sont arrêtés. Les Nazis accusent le père de soutenir les communistes. Afin d'épargner son fils, il va avouer et sera pendu avec 39 autres civils, en représailles d'une attaque de partisans sur une patrouille allemande. Très choqué, Filopimène sera pourtant aux premières loges à la libération d'Athènes, derrière une caméra. Il saisira le regard du soldat Allemand qui baissera la croix gammée de l'Acropole.
Il reprend le tournage de son 2ème film, mais doit très vite déplacer tout le plateau dans la propriété d'un ami car la guerre civile fait rage devant ses studios ! Un incendie effacera toute trace de ce 2è opus...
En 1946 il convainc un auteur de théâtre, Alekos Sakellarios, de s'essayer au cinéma. Celui-ci doit casser l'habitude prise par les acteurs d'articuler longuement les phrases afin de faciliter le doublage (le son était rajouté après la prise...) ce qui ôtait toute spontanéité.
Son film, sorti en 1948, est titré "Les Allemands reviennent" (οι Γερμανοί ξανάρχονται), et sous le prétexte d'un cauchemar vécu par l'acteur principal qui voit les Nazis reprendre pied dans le pays, est une charge assez courageuse contre la Guerre Civile en cours.
Le film suivant, "La dernière mission" (η τελευταία αποστολή), sera interdit par la censure, car il osait mettre en scène une femme grecque qui cédait aux avances d'un soldat allemand. Finalement, il sera autorisé quand la Grecque sera remplacée par une Hongroise, pays alors communiste et ancien allié des Nazis, donc tout-à-fait compatible avec la propagande anticommuniste. Ce sera la 1ère participation grecque au festival de Cannes en 1949...
1950 : avec la sortie de l'"Ivrogne" (ο Μεθύστακας), Filopimène connait pour la première fois le succès commercial : le film fait 350000 entrées dès le premier soir, et sera à l'affiche 27 semaines d'affilée ! Le sujet émeut tout le pays : un père sombre dans l'alcoolisme et se couvre de ridicule après avoir perdu son fils à la guerre.
Ce succès lui donne de nouveaux moyens, et il déménage en 1953 ses studios dans un local plus grand. Il fait aussi l'acquisition de caméras et de rails permettant les travellings. Il est aussi le premier à introduire le son stereo.
Les films s'enchainent à un rythme de plus en plus soutenu, jusqu'à atteindre la cadence industrielle de 14 sorties/an au milieu des années 1960 ! Les sujets deviennent plus légers avec une prédominance des comédies et de farces, les acteurs-vedettes sont campés dans des rôles attendus, des couples cinématographiques se forment. L'image de la femme évolue aussi, devient plus moderne, exigeante, manipulatrice, frivole aussi.
L'actrice phare de cette époque, notre Brigitte Bardot, en beaucoup moins sulfureux, c'est sans contestation Aliki Vougiouklaki, qui malgré son énorme succès en Grèce, resta une inconnue à l'international. Elle introduit le genre musical inspiré des Etats Unis.
Mais les recettes du succès s’essoufflent à force d'être réchauffées, la télévision commence à entrer dans les foyers, et à partir du début des années 1970 les contre performances s'enchainent. Les difficultés financières s'aggravent, d'autant plus que Filopimène rêve d'une véritable cité cinématographique sur le modèle de la Cinecitta en Italie. Ce projet est un gouffre et il y laisse sa santé : la maladie l'emporte en 1977, à 69 ans.
Il laisse toute une génération d'acteurs et actrices qui ont grandi avec lui, et petit à petit disparu après lui. Avant tout, il laisse un témoignage inestimable d'une époque où le cinéma était porteur des aspirations populaires.