En grec le sentiment est d'abord une perception physique.
Tout vient du verbe ancien αισθάνομαι, prononcé selon la convention Erasmienne 'aïstanomaï' - mais si on considère que ce sont les Grecs qui prononcent leur langue correctement, alors il faut réussir à dire" èsthanomè, un beau challenge pour francophones que celui de rendre la succession -σθ- !
C'est un verbe à la voix moyenne, intermédiaire entre l'active et la passive, qui suppose que l'action se fasse sur soi-même, un peu comme les verbes pronominaux en français. Il signifie
"percevoir par les sens" PUIS (l'ordre est important) "comprendre quelque chose". Ce verbe a donné en français "esthétique": primauté aux sensations, donc, dans la signification de ce terme,
galvaudé alors que très beau.
Το αίσθημα, le sentiment, se ressent d'abord par une émotion sensitive, voire sensuelle. L'intellect rame derrière pour comprendre ce ressenti physique. Le corps prime ici, ce qui déplaît à
Platon qui vitupère toujours les sentiments et émotions comme trompeurs car venant de notre prison corporelle. C'est le fameux coup de foudre, la connivence immédiate, ou au contraire le
dégoût ou le rejet inexplicables que l'on éprouve vis-à-vis d'un(e) inconnu(e).
Alors bien sûr, tout n'est pas si binaire ni mathématique que le dit l'étymologie, heureusement ! Il arrive que la sensation première soit -et Platon joint les mains!- démentie par la suite des évènements. Que l'on tombe amoureux de celui/celle que le premier regard avait rejeté/e (Aragon: "la 1ère fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide". Histoire d'amour); que l'on éprouve de la nostalgie pour un lieu/une époque qui nous avait pourtant peu marqué. Mais même si l'αίσθημα nuance ou contredise parfois l'αίσθηση (i èsthissi / le sens), je crois à ce 6ème sens intuitif qui guide notre intellect à travers la forêt de choix qui jalonnent notre vie.